SENSIFICATION
Le concept en bref
La sensification, néologisme qui désigne un des quatre concepts de la Pédagogie à l’école de langue française (PELF), se décrit comme suit :
Les élèves et le personnel enseignant vivent des apprentissages contextualisés qui donnent du sens à ce qu’ils vivent par rapport à la francophonie.
1« Pourquoi on fait ça, madame? »
Selon la théorie de l’autodétermination, apprendre et se développer est un phénomène naturel et inné chez l’être humain.
En lien avec ce constat, le sociologue et éducateur Jean-Pierre Lepri explique que ce que nous apprenons ne nous a pas toujours été enseigné et que ce qui nous a été enseigné n’a pas toujours été appris. En effet, la vie et le milieu dans lequel on vit présentent bien des occasions d’apprendre. Selon Lepri, l’apprenant ou l’apprenante apprend ce qui a du sens pour lui, ce qui lui semble utile et pertinent, d’où la célèbre question des élèves : « Pourquoi on fait ça, madame? ». Lepri est le premier, et ce dans le contexte de la lecture, à avoir utilisé le terme « sensification ».
En raison du contexte minoritaire de l’école de langue française au Canada, il importe de réfléchir à la place réservée au sens, reconnu pour son rôle dans la motivation et dans l’apprentissage.
Jules Rocque (Manitoba) parle de donner du sens aux apprentissages comme étant « beaucoup plus large que le travail d’un jour ».
À voir aussi
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Anique Granger (Saskatchewan) explique comment un auteur français a pris un sens spécial dans sa vie.
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Marianne Cormier (N.-B.) explique que les passeurs culturels crédibles sont en mesure de donner leur propre sens à la culture.
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Nicholas Tétrault (Manitoba) explique la perception qu’il a de la réalité familiale qu’il vit.
2La PELF et ses alliés naturels
Partout dans le monde, les systèmes d’éducation sont principalement pensés pour la majorité. Les programmes d’études, les manuels scolaires et, plus récemment, les ressources technologiques sont alimentés par l’idéologie dominante. Heureusement, au Canada, l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés a favorisé l’implantation d’écoles pour les communautés de la minorité linguistique officielle (Landry, R. et Rousselle, S., 2003). À la lumière de la jurisprudence sur la question, les tenants de l’École communautaire et citoyenne considèrent que rien n’est mieux pour les francophones en contexte minoritaire que de gérer eux-mêmes leurs écoles afin que les différentes facettes de l’éducation aient un « sens » à leurs yeux.
Ce qui a du sens pour une personne devient souvent un référent pour elle. Les structures sociales et familiales en contexte francophone minoritaire font que les référents culturels des élèves et du personnel enseignant proviennent souvent de la majorité. Selon la recherche, plus faible est la vitalité linguistique minoritaire, plus les élèves de cette minorité ont des comportements linguistiques comparables à ceux de la majorité (Landry, R., Allard, R. et Deveau, K., 2006). L’Approche culturelle de l’enseignement et la Trousse du passeur culturel avancent que pour rétablir un certain équilibre quant à la signifiance des expériences des jeunes par rapport à ce qu’ils sont, il importe de leur offrir des modèles culturels forts et de leur proposer des activités et des projets qui leur procurent des référents culturels francophones qui « collent » à la fois à leur réalité et au contexte de l’école de langue française. La PELF traduit cet impératif par le néologisme « sensifier ».
Diane Gérin-Lajoie (Ontario) partage un entretien qu’elle a eu avec une élève au cours de ses recherches.
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Madeleine Champagne (Ontario) explique le sens que prennent les histoires familiales pour les jeunes.
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Félix (C.-B.) explique le nouveau sens que prend la langue quand elle semble exister « pour vrai » autour de lui.
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Jules Rocque (Manitoba) souligne l’importance pour l’école de valoriser les parents exogames.
3Saisir l’occasion de motiver
La sensification, par sa nature, est intimement liée à un autre des concepts de la PELF, la dynamisation. La sensification suppose que des efforts ont été faits pour satisfaire les besoins psychologiques de base des individus afin que ceux-ci voient le sens de s’engager et d’initier une action de leur propre gré. En effet, comme la satisfaction des besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance, le sens que les gens accordent aux choses est hautement lié à leur motivation. En termes de comportement linguistique, c’est lorsque la raison — le sens d’une action — est intériorisée par un individu que celui-ci éprouve une motivation intrinsèque (Landry, R., Allard R. et Deveau, K., 2010) face à cette action.
Pour la PELF, sensifier, c’est saisir l’occasion, chaque fois qu’elle se présente, d’aborder une situation, un problème, un défi, à partir de la perspective de l’apprenant ou de l’apprenante. C’est aussi planifier son enseignement en misant sur des référents culturels francophones qui permettent à l’élève de cheminer au plan identitaire.
Buors et Lentz (2011) résument bien l’esprit de la sensification. Ils parlent de situations d’apprentissage qui donnent pleinement sens à la pratique quotidienne du français. Des situations qui incitent à la réflexion, à la critique et à la créativité et surtout, à la participation active.
Par son témoignage, René O’Reilly (T.N.-O.), fait entrevoir les occasions à saisir lorsqu’on s’intéresse aux intérêts des élèves qui sont reliés à la langue et à la culture.
À voir aussi
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Paul Sherwood (Winnipeg) parle de motivation linguistique et culturelle.
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Soleil (C.-B.) explique l’expérience de se sentir connectée à l’autre bout du monde par sa langue.
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Pour Hélène Léone (C.-B.), les jeunes pensent à la perception de leur identité sur les réseaux sociaux.
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Sylvie Lamoureux (Ontario) discute de l’importance de s’adapter aux situations linguistiques.
4Comprendre le sens pour agir
La sensification en classe dépend de la qualité de dialogue possible entre les personnes.
Effectivement, lorsque le climat est propice à la discussion et favorise l’ouverture aux autres, il permet à chacun de se faire sa propre représentation, c’est-à-dire son propre sens, des sujets discutés. Pour les enjeux reliés à la francophonie, il importe que devant les divers choix qui s’offrent aux personnes vivant en contexte minoritaire, chacun réfléchisse de façon critique au sens de son engagement identitaire et de son engagement communautaire.
En bref, intégrer la sensification dans ses pratiques pédagogiques, c’est s’assurer que les élèves puissent répondre eux-mêmes à la question : « Pourquoi on fait ça, madame? »
Marianne Cormier (N.-B.) explique que l’on nourrit un sentiment d’appartenance envers une langue lorsqu’on s’en sert pour exprimer quelque chose qui a du sens pour nous, pour dire quelque chose de vrai.
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Des exemples en classe
Un premier « moment pédagogique » qui illustre la sensification en classe.
Ce qu'il y a dans un nom
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Contextes pour parler français
Les élèves reviennent d'un camp de fin de semaine auquel a participé l'enseignante. Celle-ci, lors d'un retour sur cette expérience, veut leur faire prendre conscience du fait que certaines circonstances favorisent l'utilisation du français.
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Un mot à la fois
L’acquisition d’un vocabulaire riche et varié contribue souvent aux progrès en écriture et en lecture. L’enseignante propose de regarder une partie de soccer pour en exploiter l’aspect culturel et favoriser l’acquisition de vocabulaire.
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Jeux de mots en affaires
Les élèves des milieux minoritaires sont souvent très peu exposés à un paysage linguistique francophone. Ils en viennent à penser que la langue française n'a pas ce « génie » de créer des images pour vanter un produit ou attirer l'attention. La stratégie proposée par l'enseignante les amène à réfléchir à cette supposée « réalité » et à découvrir le génie de la langue française.
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Nom de l'école et identité
L'identité se construit individuellement et collectivement. On voit dans ce moment pédagogique le sens profond que les jeunes accordent à l'identité, d'où la pertinence de favoriser le dialogue sur le sujet.
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Cachette à bouchette
Les jeunes connaissent le nom anglais de nombreux jeux auxquels ils jouent à la récréation, comme « tag », « catch », « kick the can », « four squares » et « hide and seek ». L’enseignant leur lance le défi d’apprendre d’où viennent ces jeux et de créer une activité pour connaître les équivalents en français ou en inventer.
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Les anciens de l'école
Le sentiment d'appartenance vient souvent du sentiment d'avoir une place dans son école. Tous les élèves laissent leur trace dans l'album souvenir et celui-ci peut devenir un prétexte pour échanger sur l'avenir.
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Sommes-nous accueillants?
L’école, c’est chez nous. On est fier de tout ce qu’on y produit et quand on est fier, on veut le montrer aux autres. L’enseignante lance aux élèves le défi d’inviter des personnes à une activité de l’école et de leur réserver un bel accueil.
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Tout le monde a un accent
Les accents sont des saveurs que les personnes donnent à la langue. Très riches, ces saveurs reflètent la diversité des parlers et des cultures francophones. L’enseignante profite d’une occasion qui se présente pour aborder la question en classe.